La ballade des terriens du bord de lune
Ils datent de naissance
grandissent dans la silhouette des longs courriers sur le sol
rampent dans un monde trop vaste
cherchent leurs clefs partout
forcent les serrures si besoin est
se vautrent dans les feuilles mortes
qu’ils déplient en voiles étranges pour prendre la mer et
n’arrivent pas toujours à effacer leurs traces quand le jour se lève
Ils arrivent de nulle part et à mi-chemin
empruntent des déviations
existent indépendamment de leur présence ici
portent le poids de leurs os
pansent les mêmes plaies
fréquentent des verbes à même la peau et
viennent chanter sous les fenêtres quand le jour se lève
Ils ont l’hygiène d’un dernier métro
écrivent à l’arrière des taxis
éprouvent des sentiments limitrophes
veulent toujours être ailleurs
se comportent en perdants magnifiques
teignent leurs chaussures en bleu
clament leur innocence aux chiens et
font rendre gorge à leurs rêves quand le jour se lève
Ils épuisent la nuit
s’adressent à des étoiles sans nom
pleurent plus d’alcool qu’ils n’en boivent
finissent par ne plus savoir pourquoi ils pleurent
collectionnent des rendez-vous manqués
cherchent des lèvres auxquelles se pendre
en embrassent d’autres sans domicile fixe et
récitent leur fuite quand le jour se lève
Ils ont le souffle d’océans intacts
Ils fleurent sauvages sur le bord des routes
qu’ils traversent sans regarder
déménagent sans bouger
s’absentent pour ne pas changer
choisissent de changer quand même
imitent le masque qu’on leur tend mais
ils allaient retour quand le jour se lève
Ils interprètent la vitesse
renoncent à comprendre
forment autant que le fond
se méfient des définitions
répondent à des questions qu’on ne leur a pas posé
évitent les sens uniques
Ils closent combat chaque matin mais
n’en veulent à personne quand le jour se lève
Ils se fondent dans les murmures de la ville
fixent des bretelles d’autoroute sur leurs tongs
arpentent le périph’
poncent les bancs publics puis
s’assoient dessus pour observer manèges et pompons
valsent avec des circonstances atténuantes et
pensent à ceux qu’ils ont laissé en route quand le jour se lève
Ils acceptent le son d’une seule main
paient au prix fort celui d’un baiser
acceptent d’être pris par surprise et libérés de la même façon
découpent la nuit de leurs corps missionnaires
s’emmêlent dans le même souffle
savent donner à l’impératif et recevoir à l’imparfait
prononcent des mots d’amour et
glissent sur la pointe des pieds quand le jour se lève
Antoine DUPREZ